Que dire quand tout est dit ?



CALIGULA d’Albert Camus

Que dire quand tout est dit ?
Qu’écrire quand Albert Camus a écrit ?

La joie, la vigueur, la totale plongée d’un acteur dans l’épopée d’un empereur de la nuit. Nuit des hommes, nuit sur Rome. Tout est permis.

Cartes sur tables. Les jeux sont faits. Jouez et vous perdrez, quoi qu’il arrive. Pas d’alternative. Aucun trou de souris où se nicher, vous êtes cernés.

Nous sommes cernés, nous tous. Car c’est bien de nous dont il s’agit. La peur, la frousse de perdre la vie, nous fait admettre toutes les théories, même les plus funestes. Renier nos amours, nos pères. Nos fils, nos amis.

La peur, la liberté, Caligula en joue. Ballon primesautier, clin d’œil à un dictateur filmé par un vagabond pour des vagabonds du monde entier. Prière d’applaudir à ces simagrées.

Caligula se gausse. Caligula va jusqu’au bout. Caligula se vautre dans la boue que nous n’osons fouler. Trop frileux, trop confortables, nous déléguons, déléguons, survivons à n’importe quel prix. Même le plus polysaturé, tranquilles sénateurs de quartiers, vies chloroformées.

Universalité du jeu tendu à l’extrême de Mathieu Genet, magistral, éclaboussant d’une vie, d’une énergie jetée en pâture dans les allées de ce grand théâtre. Danseur vibrant, virevoltant de son suicide programmé, déesse amère le temps d’une transe incarnée sur terre, puis cheval fou, dévasté de pureté, chercheur aliéné de ce qui ne se peut trouver. Frôlant des précipices insensés, menaçant de sombrer vers la compassion avec Hélicon, jouant un temps le jeu de la sincérité avec Cherea… puis se reprenant de main de maître, la Liberté en étendard.

Quitte à ce qu’elle voisine avec le crime le plus noir, la logique poussée dans ces derniers retranchements. Qui égorge, empoisonne à tous vents.

Ne pas se compromettre avec les limaces de l’amour, demander la lune, sinon à quoi ça sert de vivre, de vivre comme eux, tous ces gueux ?

Peur de se voir dans le miroir avec eux… alors pousser les chevaux à l’extrême, leur faire crisser, éclater les pneus…

Rien n’a de sens, rien n’existe que la pulsion égoïste d’un éternel enfant.

Fanatisme ? J’entends comme des relents d’aujourd’hui. Je vois comme des reflets de moi en lui. Des tentations d’absolu qui pourraient mener vers des cimetières, si née sous d’autres cieux, entourée de dieux, sans livres et sans silence…

Qui sait ? Qui peut se croire à l’abri ? Sous les plus belles harangues, ça sent le roussi…

La folie exalte nos souffrances. Faire que la recherche de sens ne nous mène pas à une cruauté, simple versus d’une quête de vérité poussée dans ses recoins les plus extrêmes.

Alors écrire, éduquer. La seule, l’unique réponse. Toujours renouvelée.

Merci merci merci.

Époustouflée. J’aurais pu ne rien écrire, car tout est dit. Tout est magnifiquement interprété avec le corps, le cœur. Le souffle tout entier livré pour ce beau métier.

Vive le théâtre et vive les acteurs ! Merci monsieur Camus, merci monsieur Ray. Vous nous retrempez tous dans un bain premier, décrassage salutaire de nos neurones encombrés…

Courez vers L’Épée de bois, vite, vite, vous avez jusqu’au 1er février ! Camille Arman