Camus comme révélateur de l’actualité



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CAMUS COMME REVELATEUR DE L’ACTUALITE

Quel bonheur, quelle jouissance de trouver en si beau lieu (le Théâtre de l’Epée de Bois compte parmi les plus belles salles où il m’a été donné de voir un spectacle, une telle création). Audacieuse, dynamique, rythmée sur un texte aussi dense et profond que celui d’Albert Camus. L’homme est un loup pour l’homme. Cette phrase galvaudée résonne pourtant d’une cruelle actualité. L’on peut bien sûr mesurer la portée sociopolitique d’une pièce écrite il y a 40 ans mais d’une intemporalité et donc d’une modernité à couper le souffle, tout comme la mise en scène un rien barrée mais dont la folie et la sobriété servent divinement le propos. Le système crée le monstre, mais ne nous y trompons pas, le système c’est nous. Donc le monstre c’est nous. Sophisme ? Malheureusement non.

LA MORT OU LA QUETE DE L’IMPOSSIBLE LUNE

C’est finalement ce que content le personnage central et ceux qui l’entourent, le craignent, le fantasment, le flattent, l’entretiennent dans son délire meurtrier qui le poussera à une forme de suicide. L’enfant a pris conscience de la mort, de la vacuité des êtres. Le physique fluet de Mathieu Genet est une aubaine, donnant à Caligula ce corps encore adolescent et souple. La terreur est une arme qui prive chacun, lui y compris, de sa liberté. La terreur et une certaine bienséance finalement. Le corps social est un piège dont il nous faut se méfier. L’enfant redoute de grandir et de mourir. A-t-il d’autre choix que se lancer en quête de l’impossible, quel qu’en soit le prix ?

Camus parle là d’existentialisme et s’approche de Nietzsche, dangereusement. Mais le metteur en scène Emmanuel Ray, par delà les considérations philosophiques et sociétales, déflore bien davantage encore la psychologie du personnage et même DES personnages dont l’âme et la vie se reflètent dans cette énorme monolithe qui sert de table, de paroi séparant les corps, de miroir surtout. Sans en atteindre la violence, le Grand-Guignol, la farce de la vie tels qu’ils sont montrés dans cette création, ne sont pas sans me rappeler le travail de Marilyn Manson. De Pasolini aussi.

Le lieu est superbe, le décor économe et sombre, les comédiens fragiles et inspirés… tout doit vous inviter à aller admirer une oeuvre exigeante d’une richesse insondable que cette compagnie révèle avec force et un génie décomplexé.