Tchekhov connaissait bien les acteurs…



Jusqu’au 7 mai au Théâtre de l’Epée de Bois

« Le dernier chant »

Tchekhov connaissait bien les acteurs et les actrices et il les aimait. Il n’ignorait rien de leur besoin de reconnaissance, de leur désir de briller, rien non plus de leurs fragilités, l’angoisse de mal jouer, la peur de la vieillesse et d’être un jour oublié.

C’est à partir de textes de Tchekhov qu’Emmanuel Ray a tissé le texte de la soirée. Le chant du cygne d’abord, une merveilleuse petite pièce en un acte, où un célèbre acteur désormais au seuil de la vieillesse, oublié, un peu ivre, un soir dans le théâtre vide, s’interroge sur son art et sur la gloire. Face à lui, son vieux souffleur, qui a lui aussi rêvé d’être sous les feux des projecteurs, ovationné par le public et à qui il a manqué quoi ? Un peu de chance ou d’audace. Emmanuel Ray y a mêlé des extraits de Le baron, de Elle et lui et enfin de la correspondance avec Olga , l’actrice qui s’illustra dans les personnages de Tchekhov et qu’il épousa.

L’émotion finale c’est la Nina de La mouette qui l’apporte, avec sa tirade où tout est dit, l’angoisse de jouer atrocement mal, le fait que pour l’actrice « l’essentiel ce n’est ni la gloire ni l’éclat … mais de savoir supporter, d’avoir la foi ».

Mélanie Pichot et Emmanuel Ray ont assuré la mise en scène et la scénographie. C’est par la lumière et les applaudissements que tout commence avec deux des acteurs en vêtements de soirée qui saluent. Quand les bravos s’éteignent et que revient le silence, c’est dans une grande boite blanche qu’apparaît ensuite le souffleur vêtu de loques, vestiges de spectacles ou de lieux qui eurent leurs heures de gloire. Ce lieu qui peut être vu comme le trou du souffleur, devient ensuite loge, où le vieil acteur Vassili Svetlovidov s’est réfugié pour échapper dans l’ivresse à l’angoisse de la vieillesse, de la solitude et de l’oubli et peut aussi s’élargir à l’espace de la scène. Tout est en place pour créer les illusions de la scène, les éclairages comme la musique.

Chacun des acteurs est un et plusieurs, dans le succès comme dans les interrogations. Emmanuel Ray est le vieil acteur. Paniqué à l’idée d’être seul enfermé la nuit dans le théâtre, fuyant dans l’ivresse la crainte de se retrouver seul après avoir été dans la lumière et pourtant, capable de faire encore retentir les mots de Shakespeare, retrouvant les accents de ses interprétations inoubliables, touchant alors au sublime et faisant reculer la vieillesse qui avance et la mort qui approche. Il est magnifique.

Mélanie Pichot est l’actrice en combinaison noire qui se met du rouge à lèvres, presque négligée mais derrière laquelle se cache une autre femme, celle qu’elle sera sur scène, que tous admireront mais qui reste pourtant pleine d’interrogations. Elle est aussi « La mouette » qui nous émeut aux larmes à la fin. Fabien Moiny enfin est le souffleur, apportant avec finesse la respiration de moments de rire.

C’est une magnifique et émouvante métaphore de la grandeur et des servitudes du métier de comédien qu’ils nous offrent. Merci !

Micheline Rousselet