Le Dernier Chant – Le Monde avril 2017



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Il n’y a qu’un cube blanc ouvert sur la scène avec ses angles saillants, faut-il qu’il se moque de notre terre ronde si ronde ? Il apparaît juste après la salve d’applaudissements, cet étrange grelot qui traverse les rêves de tout artiste saluant le public après le spectacle.
Mais en vérité, il n’y a pas d’avant ni d’après chez les artistes. Une boîte sera toujours trop étroite ou en tant cas qu’importe l’habitacle, c’est le moteur qui compte. Il ronfle, il ronronne, il soupire, il s’alarme chez ces curieux saltimbanques. Tant il est vrai que nous spectateurs, nous n’en avons rien à faire des états d’âme des comédiens, et que paraît-il, il faut avoir la dent dure dans cet univers du spectacle, nous voilà interpellés par l’homme de théâtre Tchekhov qui défroisse l’artifice, ouvre l’oeil sur ces comédiens, ceux qui vont faire vivre une pièce, les dégage de leurs oripeaux pour les mettre à nu sous les feux
tremblants du projecteur.

Un rêve tout haut qui permet au souffleur de se projeter follement lui même personnage, tenir le rôle impossible d’Hamlet, à la place d’un comédien exécrable, au vieil artiste d’entrer définitivement dans la peau de ses meilleurs rôles, celui de Richard III, notamment, pour ne pas quitter la scène, pour vivre.

Et si ces rêves tout haut, ceux aussi d’une actrice vraiment trop exigeante avec elle même ou une autre déçue mais encore toute fébrile d’espoir, si ces rêves nous rapprochaient de nos propres déboires ou ivresses, ceux qui nous font dire en tressaillant : la coupe est pleine, la coupe est vide, elle ne peut que se remplir encore ! L’ivresse douce, amère, mélancolique, turbulente, voire comique, est au rendez vous dans ce spectacle. Nous voici dans l’âtre au coeur même de la scène, celle qui allonge démesurément les ombres de ces artistes et c’est leur coeur qui bat à tout rompre, qui fait vaciller le public. Rêve tout haut qui d’une larme fait une mer, qui d’une femme ordinaire fait une cantatrice hors pair, qui d’un bleu à l’âme fait rejaillir Hamlet !

Paris, le 22 Avril 2017 Evelyne Trân