8 janvier 2015, lendemain de l’attentat meurtrier conte Charlie Hebdo. Et, hasards des programmations, jour de la générale de Caligula.
Ils sont tous là, alignés devant nous, la mine grave. Emmanuel Ray, le metteur en scène et la petite fille de Cavanna la voix tremblante de larmes contenues nous lisent un texte : non, il n’est pas facile de jouer ce soir mais il faut le faire, lancer les mots de Camus qui vont résonner comme jamais. Les mots comme réponse à l’ignorance et à la barbarie.
Et le spectacle commence.
C’est peu de dire qu’Emmanuel Ray s’est approprié le texte de Camus. Il en fait réellement une œuvre de création, son œuvre. Dès le début, avec les répliques des patriciens dites ensemble comme un chant qui monte et qui éclate, avec ce mot qui domine en leitmotiv : Rien.
C’est une version brute, brutale, abrupte qui nous est ici donnée, qui donne toute sa force au texte servi par des comédiens littéralement habités par leurs personnages dans cette très belle salle de l’Épée de Bois, sur ce plateau, pavés disjoints et béton mêlés.
Une version très visuelle, flamboyante, vivante et vibrante, qui donne chair aux réflexions philosophiques avec une lecture saisissante, un regard acéré et des trouvailles fabuleuses. C’est fort, intense, puissant, d’une sombre beauté, douceur et force alternées. C’est ce miroir plateau où Caligula ne peut que se renvoyer à lui-même, ou sur lequel il s’installe : le roi est nu. Et seul. Ce sont ces scènes aux répliques courtes qui surgissent comme des flashes. C’est une symphonie déchirante qui raconte le désir de l’impossible, la lune, l’innocence et la culpabilité, la mort, la peur, le désespoir et l’amour de la vie, la démence et la haine de soi. Et l’immortalité : « Je suis encore vivant » crie Caligula à la fin.
Nicole Bourbon